À l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, le Président de la République Gabonaise, Ali Bongo Ondimba a accordé une interview fleuve au très célèbre média anglais « The Independent « . Dans cette interview, le Chef de l’État gabonais revient sur les nombreuses réformes qu’il a mené dans son pays afin de garantir l’égalité Homme-femme. Notre rédaction vous livre le contenu de cette interview inédite.
The Independent : Félicitations pour le classement du Gabon dans le rapport « Les entreprises, les femmes et le droit » que vient de faire paraître la Banque mondiale. Selon vous, le fait de créer des opportunités équivalentes pour les femmes au Gabon a un impact à la fois en termes de justice sociale et de développement économique ?
Ali Bongo Ondimba : Promouvoir le droit des femmes et leur garantir l’égalité avec les hommes est non seulement un impératif moral, de justice social, mais c’est aussi une condition pour accélérer notre développement économique. Un pays, s’il veut progresser et être compétitif, doit pouvoir compter sur 100 % de sa population. Et non seulement 50 %. Nous l’avons très tôt compris. C’est pourquoi j’ai décrété dès 2015 la Décennie de la femme au Gabon. Nous en récoltons aujourd’hui les fruits.
Pensez-vous que le fait pour le cadre juridique de promouvoir le droit des femmes est plus important que jamais en cette période post-Covid ?
La crise de la Covid-19 a mis en lumière l’importance des femmes dans tous les secteurs. Les femmes, en particulier, sont très présentes dans les professions médicales. Si la crise de la Covid-19 a pu être surmontée, au Gabon comme ailleurs, c’est en grande partie grâce à elles. Globalement, un monde où l’égalité entre les femmes et les hommes progressent est un monde meilleur.
En 2015, vous avez institué « La décennie de la femme » au Gabon. Pouvez-vous brièvement nous expliquer le but d’une telle initiative ? Et nous dire jusqu’où celle-ci est allée jusqu’à présent dans l’atteinte de ses objectifs ?
La Décennie de la femme, que j’ai décrété en 2015, et qui doit beaucoup aux discussions que j’ai eues avec mon épouse, la Première dame Sylvia Bongo Ondimba, très impliquée sur le sujet, visait à envoyer un signal politique puissant. Dans toutes les politiques publiques, nous devons veiller à ce que les droits des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes soient assurés. Que ce soit dans la vie économique, sociale ou politique. En droit comme dans les faits. Depuis, notre droit a profondément évolué, qu’il s’agisse du droit civil, pénal ou du droit du travail. Les femmes sont aujourd’hui présentes partout aux plus hauts postes à responsabilité. Nous avons fait beaucoup de chemin. Mais il nous reste encore à en parcourir.
Tellement de choses ont déjà été faites au Gabon pour renforcer les droits des femmes, pour les protéger. Quand « La décennie » de la femme sera achevée, y aura-t-il une suite ? Ou est-ce que le fait qu’il n’y aura pas de suite sera considéré comme une marque de succès ?
Nous verrons où nous en serons en 2025. Mais assurer l’égalité femmes-hommes n’est pas un acquis définitif. Il peut y avoir des reculs. C’est pourquoi il faut être vigilant et veiller à consolider l’édifice en permanence. Au Gabon, l’objectif est clair : garantir aux femmes des droits égaux à ceux des hommes. Mais nous sommes plus ambitieux : nous voulons faire en sorte que cette égalité soit effective dans les faits. Tant que cet objectif ne sera pas atteint, je n’arrêterai jamais.
Le Gabon est engagé avec succès vers un modèle de société qui promeut le droit des femmes et l’égalité des genres. Comment espérez-vous que le reste de l’Afrique réagisse ?
C’est une dimension importante. Ce que nous faisons, nous le faisons d’abord pour le Gabon. Mais nous le faisons aussi pour le reste de l’Afrique. Car les pays africains entre eux se regardent et se comparent. C’est normal. On appelle cela le benchmark. Une réforme ou une avancée a plus de chance d’être répliquée par un pays d’Afrique si elle vient d’un autre pays d’Afrique. C’est moins évident quand cela provient d’Europe ou d’Asie. Il y a donc une émulation positive à créer en Afrique sur le sujet. C’est aux Africains de le faire. Cela ne peut être imposé de l’extérieur. Sur le sujet de l’égalité femmes-hommes et de la promotion des droits des femmes, le Gabon sert de modèle au reste de l’Afrique.
Pensez-vous que le fait de renforcer le droit au Gabon en matière de protection contre les violences à l’égard des femmes peut provoquer un basculement, une évolution profonde dans la manière dont la société, en particulier les hommes, perçoivent les femmes ?
Souvent, c’est le droit qui s’adapte aux faits, aux évolutions. Mais parfois, quand c’est réellement nécessaire, le droit doit être réformé pour faire évoluer les mentalités. Comme beaucoup de société en Afrique et dans le monde, la société gabonaise est conservatrice. Mais si on lui montre le chemin dans certains domaines, elle est prête à évoluer. C’est le cas en particulier chez les jeunes. C’est pourquoi, en tant que dirigeant, je crois au volontarisme. Les femmes ont toujours joué un rôle important au Gabon. Mais ces dernières années, le plafond de verre a sauté. On conçoit désormais qu’une femme peut être chef d’entreprise, chirurgien, maire, gouverneur, premier ministre et, qui sait, un jour plus encore !
Quel est le message du Gabon au monde en cette Journée internationale du droit des femmes ?
Œuvrer pour la cause des femmes est dans l’intérêt de tous, des femmes et des hommes. C’est ce message simple que j’entends délivrer.
Le thème générique de cette Journée internationale du droit des femmes 2022 est « briser les préjugés ». Pouvez-vous décrire brièvement comment les femmes au Gabon surmontent les barrières et les préjugés auxquels elles étaient jusqu’alors confrontées ?
L’une des meilleures façons de permettre aux femmes de briser le plafond de verre est de faire de l’éducation des filles une archi-priorité. C’est ce que nous faisons au Gabon. Les filles doivent avoir les mêmes opportunités que les garçons. Qu’il s’agisse des filières d’excellence ou de l’apprentissage, il ne doit pas y avoir de secteurs réservés aux uns et aux autres. L’éducation est le facteur clé pour surmonter les obstacles placés artificiellement sur le chemin des filles. Ensuite, il faut aussi, je l’ai dit, du volontarisme. Le président de la République dispose par exemple du pouvoir de nomination. J’en use pour promouvoir des femmes aux plus hautes responsabilités.
Une façon d’aider à « briser les préjugés » est d’aider les nouvelles générations de femmes à grandir sans les mêmes handicaps, les mêmes barrières. Comment le Gabon aide les nouvelles générations de femmes à pousser encore plus loin le champ des possibles ?
Je l’ai dit. Travailler sur l’éducation est clé. Il faut donner les mêmes opportunités aux filles qu’aux garçons. Mais il faut aussi travailler sur les représentations. Si je nomme une femme premier ministre, une petite fille qui est aujourd’hui sur les bancs de l’école peut se dire que, elle aussi, pourra devenir un jour premier ministre. On fait ainsi sauter les barrières mentales. En réalité, le principal handicap pour les femmes à surmonter est l’auto-censure.
Le Gabon est un leader sur la scène international en ce qui concerne la présence des femmes aux plus hauts postes à responsabilité dans la vie publique. Pensez-vous que les femmes à ces postes sont plus efficaces que les hommes ? Qu’elles obtiennent de meilleurs résultats ?
Ne tombons pas non plus dans l’excès inverse. En réalité, ce qui compte, ce n’est pas le fait d’être un homme ou une femme. Ce qui compte, c’est la personnalité, le tempérament. Cela dit, d’expérience, j’ai pu constater que les femmes font souvent preuve d’une grande rigueur et d’un sens élevé des responsabilités. Peut-être cela provient-il du fait qu’elles donnent la vie et qu’elles font passer leurs enfants avant leur propre personne.
Aimeriez-vous que ce qui se fait au Gabon se fasse ailleurs en Afrique ?
Bien sûr. En tant que Gabonais, je souhaite la réussite de mon pays mais aussi de mon continent. Mais je ne m’arrête pas là. Je suis fondamentalement universaliste. Mes enfants d’ailleurs sont métis. Ce que je souhaite pour mon pays et mon continent, je le souhaite pour le reste du monde.
Etes-vous optimiste pour l’avenir des femmes sur le continent africain ?
Pour paraphraser un grand esprit, je dirais que « l’espoir n’est pas une méthode ». En tant que dirigeant, je n’ai pas à espérer, j’ai à agir. Je l’ai dit, je crois au volontarisme en politique. Je ne cesserai donc d’agir tant que la femme ne sera pas considérée, au Gabon, comme l’égale de l’homme. Je suis convaincu que nous y parviendrons peu à peu partout en Afrique. C’est tout simplement le sens de l’Histoire.